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Geste écologique, remède contre l'angoisse ou meilleure façon de faire des économies, le jardinage est devenu le hobby favori des Français : 13 millions de passionnés y consacrent leurs week-ends. Droits dans leurs bottes en caoutchouc !
Semer, planter, biner, tailler... L'amour des Français pour le jardin n'en finit pas de s'épanouir d'année en année. A l'occasion des «Rendezvous aux jardins», organisés dans toute la France à l'initiative du ministère de la Culture, 1,5 million de passionnés pousseront ce week-end les grilles des 2000 jardins qui accueillent le public, dont 400 de manière tout à fait exceptionnelle. De simples amateurs comme de vrais experts vont s'y précipiter, comme ils le font déjà à l'occasion des nombreuses fêtes des plantes qui, à l'instar de celles de Courson ou de Beauregard en région parisienne, sont devenues des rendez-vous obligés.
La France compte 13 millions de jardiniers du dimanche dont le passe-temps favori consiste à s'armer de bottes en caoutchouc, d'un taille-haie ou d'un râteau pour domestiquer les excentricités de la Nature. Ils dépensent à cet effet plus de 6 milliards d'euros par an, soit 235 euros par ménage en moyenne. Une somme qui a doublé en vingt-cinq ans, alors que la superficie moyenne des jardins diminuait de moitié. Neuf foyers sur dix possèdent aujourd'hui un espace de jardinage dans leur habitation principale:59% un jardin, 47% une terrasse, 32% un balcon... et 50% au moins un rebord de fenêtre fleurissable, au nombre de 57 millions dans l'Hexagone *. Si bien qu'au total la surface jardinée française est quatre fois plus vaste que celle occupée par nos espaces naturels protégés !
Et la crise n'a en rien freiné l'ardeur des jardiniers tricolores. Bien au contraire. Selon les dernières statistiques de Promojardin, association regroupant les principaux producteurs et distributeurs du secteur, le chiffre d'affaires du jardinage a progressé de 2,5% en 2009, quand celui du bricolage baissait de - 2,2%, et ceux de l'électroménager et de l'aménagement de - 6 % et - 3,1 %. A cela, plusieurs explications. L'hiver, d'abord, particulièrement froid cette année. Beaucoup de plantes ont gelé, il a fallu les renouveler, des géraniums aux plantes de climat doux qui ont le vent en poupe depuis quelques années. Par définition, les citronniers, oliviers et orangers du Mexique résistent moins bien aux hivers rigoureux !
Mais l'engouement des Français pour les plantes dépasse de loin les simples considérations météorologiques. Pour Marc Gueguen, directeur de la recherche et du développement chez Truffaut, le regard des Français sur le jardin a profondément changé au cours des cinq dernières années. «Le jardin est devenu un élément de valorisation sociale, explique-t-il.Avoir un beau jardin, c'est comme avoir un bel intérieur il y a quelques années. C'est aussi une façon d'afficher sa préoccupation pour la préservation de l'environnement, ajoute-t-il. Jardiner, c'est s'impliquer, à travers un geste individuel, dans la problématique écologique !»
L'anthropologue Jean-Didier Urbain, auteur de Paradis verts (Payot), va plus loin. Pour lui, la passion des Français pour les jardins est révélatrice d'une profonde angoisse face au monde tel qu'il va. «Il y a eu le 11 septembre 2001, les catastrophes naturelles, la crise, et maintenant l'austérité et le problème des retraites... On atteint un point culminant du sentiment de fragilité de l'individu face à la globalité à laquelle il appartient, et dont la logique lui échappe. Le jardin devient un repaire, un lieu secret à l'abri des turpitudes du monde et des soubresauts de la Bourse, un sas qui permet de retrouver un univers où les relations de cause à effet sont encore compréhensibles. » On plante, on arrose, et ça pousse tout seul (enfin presque...). Dans un monde qui va de plus en plus vite, quel bonheur de retrouver les réalités simples du terrain, de redonner du sens au temps et aux saisons, à la pluie et au soleil !
Et pas seulement pour le plaisir des yeux:de plus en plus, le jardin devient lieu de production. Les fruits et légumes ont la cote. Dans les jardineries, il ne s'est jamais vendu autant de tomates, courgettes, aubergines, salades ou melons ! Selon Promojardin, le chiffre d'affaires des rayons «potager» explose littéralement:+ 17% en 2009 (contre une hausse de 6% un an plus tôt).
Razzia sur les plants de tomates cerises
«Une parcelle de 200 mètres carrés assure la consommation annuelle de légumes d'une famille avec deux enfants. Avec 400 mètres carrés, on peut avoir des fruits. Le tout pour un loyer mensuel de cinquante euros», explique Jean-Luc Chavanis, auteur de Ces jardins qui nous aident (le Courrier du Livre). D'espace d'ornement et de loisir, le jardin est-il en passe de devenir l'instrument d'une possible autarcie? «Vous verrez, on va renouer avec le jardin potager d'après-guerre !», promet Jean-Didier Urbain. Produire soi-même. Manger bio, et surtout savoir ce qu'on met dans son assiette, voilà la grande tendance du moment ! Si l'on possède un jardin, on mélange artistiquement fleurs et légumes pour lui donner un petit côté jardin de curé (38% des jardins ont un coin potager); et si l'on habite en ville, on plante des tomates cerises sur son balcon. C'est la plante leader du moment. Facile à faire pousser, ne nécessitant aucune taille, elle est capable de produire en trois mois de délicieuses petites tomates, idéales à l'heure de l'apéritif. Un plaisir quasi immédiat ! «Quand on redoute l'avenir, on se réfugie dans la joie de l'instant», observe Jean-Didier Urbain, qui ne craint pas de jouer les Cassandre. Peut-être, mais nos jardiniers ne sont pas tous des déprimés en puissance ! Dans leurs achats, ils plébiscitent les végétaux du soleil (palmiers, oliviers, lauriers roses, bananiers...) et les plantes aromatiques qui viennent ajouter une saveur méditerranéenne la nostalgie des vacances, toute l'année durant, ne doit pas être un très bon signe aux yeux des sociologues... à la cuisine de tous les jours. La star incontestée ? Le basilic, qui fait objet d'une demande folle dans les jardineries. «Le marché du végétal est devenu très sensible aux modes, analyse Marc Gueguen. Les Français veulent composer leur décor, varier les espèces. Même s'ils n'ont qu'une jardinière à fleurir, ils vont marier des dipladenia avec un osteospermum ou une verveine à fleurs, trois nouvelles vedettes en matière de plantes annuelles. Les jardiniers d'aujourd'hui sont beaucoup plus « déco » que ceux des générations précédentes !»
Les massifs à l'ancienne, composés de 50 oeillets d'Inde, bégonias ou impatiens, c'est fini. Idem pour les rosiers, dont les ventes sont en chute libre. Le massif monothématique à base de roses est devenu limite ringard aux yeux des bobos aux pouces verts. Désormais, le rosier se doit de cohabiter avec d'autres arbustes à fleurs. Au nom de la diversité et du végétalement correct !
* Etude Promojardin, avril 2010.