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Une loi prévoit que les rebuts électroniques ne pourront plus être traités que par des entreprises agréées. Un coup dur pour ceux qui vivent du marché informel.
Naveed, Khalida, sa femme, et leurs trois filles se lèvent chaque matin pour retirer l’or et le cuivre des circuits imprimés de vieux ordinateurs. Ils en font ensuite un tas et y mettent le feu. En brûlant, le plastique émet une fumée rouge toxique. Ce qui reste – les métaux – leur rapporte jusqu’à 300 roupies [5 euros] par jour.
Naveed extrait des métaux de déchets électroniques depuis plus de trente ans maintenant. La famille vit dans une maison d’une seule pièce située dans le quartier Nawabpurna Colony, à Moradabad, dans l’Etat de l’Uttar Pradesh, dans le nord de l’Inde, au milieu d’autres maisons similaires et de pièces d’ordinateurs qui jonchent le sol. Chaque famille est spécialisée dans l’une des étapes du processus d’extraction : certaines utilisent des chalumeaux pour chauffer les circuits imprimés jusqu’à ce que les soudures fondent et que les parties métalliques se séparent ; d’autres plongent les pièces dans des bains d’acide ; et d’autres encore, comme celle de Naveed, les font brûler.
Les circuits imprimés proviennent des écrans d’ordinateur, des unités centrales, des claviers, des télévisions, des télécommandes, des radios, des téléphones portables et autres appareils électroniques qui finissent dans le bidonville. D’après les marchands, environ la moitié des circuits imprimés utilisés dans des appareils en Inde finit à Moradabad, qui a gagné le surnom de peetal nagri, la ville en laiton.
Les processus d’extraction sont rudimentaires et peuvent être dangereux. Deux cartes mères, pesant en moyenne 1 kg, coûtent 230 roupies. Après avoir vendu les métaux, les recycleurs retirent de leur achat un bénéfice de 10 %. Rien n’est perdu. “Les plus pauvres achètent même la poussière qui reste une fois les pièces brûlées, pour récupérer des traces de cuivre”, explique le voisin de Naveed, Salim.
Seelampur, au nord-est de Delhi, est aussi l’une des principales plaques tournantes des déchets électroniques. Ils arrivent de toute l’Inde. Tous les vieux ordinateurs vendus aux enchères dans la région finissent également à Seelampur. Là, on trouve une autre sorte de métier, les kabadiwalas (les ramasseurs de déchets), qui achètent les rebuts électroniques des ménages. Mais environ la moitié des ordinateurs qui seront traités sont des appareils faisant partie de lots de matériel d’occasion importé et qui ont été abîmés. En outre, lorsque des organismes gouvernementaux ou des bureaux veulent se débarrasser de leurs rebuts électroniques, ils le font savoir dans Auction News, un bimensuel de Delhi. Une fois les “recycleurs” réunis dans les locaux concernés, la vente aux enchères commence.
Fin avril, le gouvernement a annoncé la publication d’un projet de loi destiné à réguler le marché informel des déchets électroniques (e-déchets). Ce texte pourrait bouleverser la vie de Naveed et de milliers d’autres personnes travaillant dans ce secteur. Selon un rapport de MAIT-GTZ (deux organisations dont la première regroupe des entreprises d’électronique et la seconde promeut le développement durable dans le monde entier), plus de 90 % des rebuts électroniques produits dans le pays finissent sur le marché informel. Pour les habitants des villes, ce travail est un bon moyen de gagner de l’argent malgré les risques qu’il présente. Le gouvernement pense pouvoir réguler cette industrie en ne tolérant que les entreprises agréées disposant de technologies modernes et sûres pour recycler les rebuts électroniques. Les ferrailleurs ont pris connaissance de ces règles lors d’une récente vente aux enchères organisée à Delhi par la Banque centrale indienne (RBI) pour se débarrasser de ses vieux ordinateurs et imprimantes. L’un des recycleurs a en effet vu son offre rejetée parce qu’il n’appartenait pas au secteur organisé.
“Pour être agréé, il faut avoir un grand espace et des moyens techniques”, explique Daljeet Singh, présent ce jour-là. “Seuls ceux qui peuvent compter sur des investissements importants peuvent y prétendre.” L’homme possède un magasin spécialisé dans le recyclage, dans le quartier de Mayapuri, à Delhi. La majorité des recycleurs du secteur informel ont arrêté l’école à 14 ans, explique Abdul Rasheed, un autre marchand de ferraille de Turkman Gate, à Delhi. “Nous dépendons de ces ventes aux enchères pour vivre”, poursuit-il. Les recycleurs officiels, qui ont créé l’association des recycleurs de déchets électroniques en juillet 2009, applaudissent la nouvelle loi. L’un de leurs sujets de plainte était qu’ils ne pouvaient pas faire de bénéfices à cause de la compétition du marché informel. Selon l’association, environ 10 % de la totalité du marché des e-déchets échoit aux recycleurs agréés.
Deux fois moins cher que dans les pays riches
Il existe dans la région un centre de recyclage officiel d’environ 1 000 m², capable de traiter jusqu’à 500 tonnes de déchets électroniques par an. Selon son directeur, Raj Singh, seules 200 tonnes ont été traitées depuis son ouverture, en juin 2008.
Parmi les clients des recycleurs officiels figurent des entreprises internationales qui ne veulent pas que leurs produits finissent sur le marché gris. “Ces entreprises veulent montrer qu’elles respectent l’environnement et obtenir un certificat qui atteste que leurs déchets ont bien été traités par des recycleurs officiels”, explique Singh.
Mais l’exportation vers l’Inde d’e-déchets est souvent une bonne opération financière pour les entreprises moins regardantes. Exemple : les courtiers en déchets européens ou américains, qui devraient payer 20 dollars [16 euros] pour recycler un ordinateur en toute sécurité dans leur pays, le vendent pour la moitié de ce prix (et illégalement) aux ferrailleurs informels des pays en voie de développement.
A la fin des années 1980, les réglementations environnementales adoptées dans les pays industrialisés et l’augmentation des coûts de traitement des déchets ont poussé des “marchands toxiques” à envoyer des déchets dangereux dans les pays en voie de développement. La convention de Bâle, signée par 173 pays, oblige les nations développées à notifier aux pays en voie de développement l’arrivée de déchets dangereux. Elle précise que, si le gouvernement du pays destinataire ne possède pas de structure légale permettant les importations à des fins diverses, dont le recyclage, les exportations de déchets dangereux sont en principe illégales. Mais cet accord laisse la question des e-déchets dans le flou. Même la réglementation indienne sur la gestion des déchets dangereux ne parle pas des rebuts électroniques, ce qui a favorisé le développement d’un marché gris alimenté par ces déchets à Seelampur et à Moradabad. Reste à savoir si la réglementation proposée par le ministère de l’Environnement parviendra à organiser de manière équitable le secteur informel