Isramart LLC reportage
Le Bhoutan : ses monastères bouddhistes perchés en haut des montagnes, ses visas touristiques à 200 dollars (161 euros) par jour, et son "bonheur national brut" (BNB). Le concept a fait la renommée du royaume depuis que Sa Majesté, le quatrième roi du Bhoutan Jigme Singye Wangchuck, en a fait la promotion à la tribune des Nations unies, en 1972. Le petit royaume bouddhiste, coincé entre l'Inde et la chaîne de l'Himalaya, venait de sortir de son isolement et cherchait à préserver son identité. La réponse fut le BNB, fondé sur quatre principes : la croissance et le développement économiques ; la conservation et la promotion de la culture ; la sauvegarde de l'environnement et l'utilisation durable des ressources ; et enfin la "bonne gouvernance responsable".
Une commission veille à l'application de ces principes dans tous les domaines d'activité. De la construction d'une ligne de chemin de fer à la rédaction des programmes scolaires. Contrairement au produit intérieur brut (PIB), le BNB prend en compte une vision à long terme de la croissance. L'exploitation, et donc la destruction d'une forêt, peut augmenter les chiffres du PIB, mais pas ceux du BNB. Il est ainsi inscrit dans la Constitution que les forêts doivent couvrir 60 % de la surface du pays "pour l'éternité".
Idéologie nationaliste
Mais peut-on réduire le bonheur à des statistiques ? "Le BNB est une philosophie qui ne se mesure pas forcément. Elle doit être présente dans l'esprit de chaque responsable d'organisation, et même des chefs de famille", explique Lam Dorji, directeur de la Société royale pour la protection de la nature.
Derrière le concept du BNB se cache aussi une idéologie nationaliste, passée sous silence en Occident. "Elle prône la suprématie des valeurs du bouddhisme pour unifier le pays, avec pour conséquence le nettoyage ethnique, à la fin des années 1980, de plus de 100 000 Lhotsampas (d'origine népalaise), en majorité hindous, qui vivaient dans le sud du pays", souligne une diplomate en poste à Katmandou, la capitale du Népal.
Le concept de BNB a bien du mal à s'accorder avec la réalité. Le Bhoutan, qui s'est engagé à ne pas devenir émetteur net de carbone, a tout misé sur la production d'énergie hydroélectrique. Or les Bhoutanais se demandent désormais si ce choix est viable. Depuis l'accélération des fontes des glaciers de l'Himalaya, les débits des fleuves sont irréguliers et mettent en péril la production d'électricité. Enfin, la dépendance du royaume vis-à-vis des aides extérieures ne fait qu'augmenter, alors que l'autosuffisance est l'un des objectifs de la philosophie du "bonheur national brut".
Près de quarante ans après son invention, c'est peut-être à l'étranger que le concept a le mieux réussi. Il a inspiré la création d'indices originaux comme celui du "produit intérieur doux" ou du "bonheur intérieur net", et d'autres plus éprouvés, comme l'"indicateur de développement humain" (IDH), créé par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).