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La rémunération des obligations américaines, allemandes et françaises de maturité 10ans tourne autour de 2%, est incohérente avec les risques sous jacents. Trois explications peuvent être proposées : bulle spéculative obligataire, stabilité des prix à long terme ou scénario japonais. Dans les trois cas, les modèles économiques son invalidé et un renouveau est nécessaire.
La crise des dettes souveraines a eu raison de la notion du taux sans risque. La restructuration de la dette grecque et l’abaissement des notes financières d’économies majeures (i.e. Espagne, Italie et Etats-Unis) modifient le statut de « safe heaven » (sécurité maximale) dont bénéficiaient auparavant les obligations souveraines. Dorénavant, aucun investisseur, ne peut utiliser, sans prendre un certain risque, les obligations d’Etats pour honorer la promesse de retrouver ses capitaux investis à maturité.
La modification de paradigme implique la plus importante remise en question des modèles financiers : modèle de valorisation des actifs, efficience des marchés financiers, et équilibre dynamique. Celle-ci transforme la gestion d’actifs, modifie le refinancement des économies et oblige de repenser les différentes théories de portefeuille. Mais au-delà de l’impact sur les modèles financier en vigueur, le niveau de rendement des obligations d’Etat constitue la plus surprenante des énigmes.
La théorie financière classe les différentes classes d’actifs en risque et rendement. Elle fournit une correspondance entre le niveau de risque et l’exigence de rentabilité. Le prix d’un actif représente la synthèse de cette correspondance. Force est de constater, que les investisseurs sont satisfaits par une rémunération de moins de 2% pour prêter aux Etats-Unis ou à l’Allemagne sur une période d’au moins 10ans. Les modèles de comportement des taux d’intérêt (1) prévoient un retour des rémunérations des obligations à une moyenne de long terme. Ces modèles prévoient donc que les acquéreurs d’obligations à long-termes ont une forte probabilité d’enregistrer des pertes, s’ils venaient à se défaire de leurs avoirs avant l’échéance des prêts. La baisse de la notation financière, quant à elle, augmente la probabilité d’enregistrer des pertes à l’échéance (par l’effet d’une restructuration avant le remboursement de l’obligation). Comment une telle situation peut elle se justifier ? Trois explications peuvent être envisagées: 1° une bulle spéculative est en œuvre, 2° les économies américaines et européennes ont gagné la bataille contre l’inflation et 3° l’entrée de ces économies dans un cycle de déflation.
Dans son témoignage de juillet 2005 (2), près de la Commission des Finances de la Chambre des Représentants aux Etats-Unis, Alan Greenspan s’est interrogé sur les raisons qui justifiaient des taux faibles. A l’époque le taux réel était supérieur à 2%. Aujourd’hui, ce taux est négatif ! Parmi les principales raisons avancées, à l’époque, la forte demande d’actifs obligataires et la crédibilité des banques centrales à assurer la stabilité des prix avaient la faveur des commentateurs.
Les fonds de pension, les réserves de change des pays émergents, les compagnies d’assurance et les banques sont tous des opérateurs qui apprécient les dettes souveraines pour la sécurité qu’ils offrent. Les marchés financiers, sous fort stress, cachent la liquidité dans ce type de placement dans un « vol vers la qualité » (« flight to quality »). Cependant, ces arguments ne peuvent plus perdurés. L’importante exposition du système financier allemand (banques et assureurs) aux dettes des autres pays membre de la zone Euro constitue un danger d’accroissement de l’endettement de l’Allemagne dans les prochaines années si les pays fragiles (Portugal, Espagne, et Italie) venaient à restructurer leurs dettes dans des conditions similaires à celle de la Grèce. Cependant, les institutions financières européennes continuent à investir leurs avoirs dans les dettes allemandes pour sécuriser une partie de leurs engagements puisque les normes prudentielles ne tiennent pas suffisamment compte des risques souverains (3).
Les banques centrales des pays émergents continuent à acquérir de la dette américaine avec un objectif combiné d’un maintien de l’avantage compétitif des taux de change, de l’investissement des surplus de balance commercial et budgétaire dans la devise de référence, et le financement de la première économie mondiale pour maintenir la demande économique (dans une forme de crédit fournisseur pour maintenir la production des biens dans la zone Brésil, Russie, Inde, et Chine).
Tous ces phénomènes participent à la dislocation de l’offre et de la demande pour les obligations. Cette dislocation est synonyme de l’existence d’une bulle spéculative. Son dégonflement créerait mécaniquement des pertes importantes pour les différents opérateurs qui demanderont une aide étatique et dégraderont les comptes publics.
Une victoire sans concession des pays européens et des Etats-Unis dans la bataille contre l’inflation pourrait justifier le faible niveau des taux d’intérêt. Cependant, force est de constater que la volatilité importante des prix des matières premières met en péril cette hypothèse. Le comportement des prix des matières premières (pétrole, cuivre, matières premières agricoles) a un impact inflationniste important. Le risque d’inflation est toujours présent et certains participants au FOMC (4) soutiennent que l’inflation est sur une pente ascendante – ils utilisent d’ailleurs cet argument pour contrer l’adoption d’un troisième programme de Quantitative Easing par la FED -. De plus, l’évolution du prix de l’Or (qui s’approche des plus hauts historiques après prise en compte de l’inflation) constitue une contre explication à l’hypothèse d’une forte crédibilité des banques centrales à stabiliser les prix. En effet, les investisseurs dans l’Or souhaitent sécuriser leurs avoirs contre la spirale inflationniste qui pourrait se produire post restructuration des dettes souveraines.
La troisième explication consiste à supposer que les économies américaine et européenne font face à un cycle déflationniste pour une longue période. La situation calamiteuse de l’emploi (avec des taux de chômage à deux chiffres) constitue un mécanisme d’installation de la surcapacité et de la déflation. Les chômeurs et les salariés craignant le chômage reportent leurs décisions de consommation et poussent les prix des biens et services à la baisse. Les salaires sont mis sous pressions et le cycle : baisse des salaires, chômage, baisse des prix s’installe dans la durée. L’économie Japonaise connait cette spirale vicieuse depuis plus de 10ans. L’occurrence d’une spirale déflationniste est d’autant plus probable que la majeure partie des économies occidentales mettent en œuvre actuellement des programmes d’austérité qui participent à la baisse de la croissance financée par l’Etat.
Dans tous les cas de figure, la solvabilité dégradée des banques des économies développées (dues à une prise de risque trop importante et incontrôlée pendant de longues années) constitue une fragilité supplémentaire qui se traduit par un danger sur l’aggravation de la situation difficile des comptes publics. Si un crise bancaire venait à se déclarer (comme le prévoit les derniers travaux du FMI et l’appel d’une recapitalisation d’urgence par son Directeur Général), les Etats devront supporter le système bancaire et augmenter mécaniquement leurs taux d’endettement.
En tout état de cause, la disparition de la notion d’actif sans risques et l’énigme des taux d’intérêt faibles devraient remettre en cause les modèles économiques et financiers en vigueur puisque leurs hypothèses de validité ne sont plus assurées. Il est nécessaire de modifier ces modèles pour intégrer les comportements irrationnels qui forment des bulles spéculatives afin de refléter cette réalité que nos politiques économiques sous estiment dangereusement.